LA VIE D'UN CORNICHON

( P. Sechet)

  Prix Hugo Délire 1998 décerné par la rédaction du Raoulsite et ses amis....

 


Je naquis un beau matin de printemps dans un obscur potager de
Ploumazout-sur-Mer, petit village de Bretagne bien connu des
chasseurs d'éléphants roses. Rien ne laissait entrevoir le destin
grandiose qui allait être le mien.

Mon enfance ne fut pas facile, loin s'en faut. Ma mère était morte peu
après ma naissance, emporté par un sandwich jambon-beurre.
Quant à mon père, un concombre très introduit dans le milieu des
dessous féminins, il ne m'avait point reconnu, ma petite taille me
rendant à ses yeux, indigne de lui succéder (je me suis toujours
demandé pourquoi ce détail avait tant d'importante dans le métier de
Négociant en Lingerie. Mais, je soupçonne d'avoir mal compris
quelles étaient les véritables activités de mon père dans le Milieu).

Le potager, c'est la jungle : livré à moi même, il me fallut lutter jours
après jours pour gagner ma place au soleil, disputant mon maigre
carré de terre aux salades, pommes de terres et autres plants de
tomates. Dès mon plus jeune âge, je voulus m'élever, atteindre la
lumière et prendre ma place parmi les grosses légumes. Je versai
dans le Crime. Je m'accoquinai avec une bande, ces membres étant
des graines dont ont fait les mauvaises herbes : mon intelligence
supérieure les subjugua. Ma conquête du Monde pouvait
commencer. Avec leur aide, je commençai à accroitre mon espace
vital en éliminant mes concurrents des carrés de terres avoisinant.
Mon action fut sournoise mais imparable. J'attaquai par les racines.
Le cas des salades fut expédié en premier. Je n'ai jamais supporté
l'arrogance de ces pimbêches. Leur agonie fut lente, leurs feuilles se
flétrissant et se ratatinant au fil des jours. Elles ne surent jamais d'où
venait le coup. Malgré l'excitation produite par cette réussite, je
retenais mes troupes, attendant le moment favorable pour frapper à
nouveau. En ces instants de félicité, je profitais de mon crime en
bronzant au soleil.

Deux semaines plus tard, je m'attaquai aux tomates.

Un sentiment de terreur commença alors à régner dans le potager.
La disparition soudaine des tomates, dans la fleur de l'âge, entretint
toutes sortes de rumeurs. Pour les plus exaltés, l'Apocalypse était en
marche et l'heure de la Ratatouille Ultime avait sonné. Pour les plus
pragmatiques, il ne faisait aucun doute qu'un Serial Killer sévissait
dans le jardin.

Seul dans mon coin, je jubilais.

Perdant toute prudence, et aveuglé par un sentiment de pouvoir, je
lançai mes fidèles contre des rangées de haricots verts qui me
bouchaient la vue. Quatre cents trente deux haricots rendirent l'âme
ce jour là, me faisant entrer dans le panthéon des Criminels, et
attirant sur moi la colère des Dieux.

Jusqu'à présent, je n'avais jamais cru en Leur existence. Il y avait
certes des rumeurs parmis mes congénères. Mais mon intelligence
rationnelle ne pouvait pas envisager l'existence d'êtres surnaturels
présidant à notre vie ici bas. Quel légume ayant une once de
reflexion pouvait raisonnablement croire que nous étions le fruits
d'expériences génétiques menées par des êtres supérieurs et que
nous avions été IMPORTES d''outre espace pour être littéralement
planté sur cette Terre ?

Il fallut pourtant me rendre à l'évidence. Mon crime était une
abomination. Un matin, les Dieux surgirent du Néant pour me punir.
J'eus beau tenter de me cacher, la trace de mon Infamie, une terre
désolée envahie par les mauvaise herbes et dont j'étais l'épicentre,
me désignait comme Coupable.

On m'arracha à mon monde et je fus mis dans une prison de verre,
exilé en Enfer, loin du soleil. Je ne suis pas seul. Des milliers de mes
semblables flottent dans les eaux du Styx. J'ai la peau en feu et la
souffrance m'empêche de sombrer dans l'inconscience et l'oubli.
Parfois un de mes compagnons disparait et dans mes ténèbres,
j'entend des bruits étranges. On dit que ce sont les Dieux qui nous
passent en Jugement. Ce qu'il advient de nos âmes ensuite, nul ne le
sait.
J'ai peur.


Philippe SECHET
IMFT Toulouse




PS : Ce texte d'une violence insoutenable contient aussi du sexe, de la religion
et montre une certaine complaisance envers certaines théories sectaires (Raël
pour ne pas le nommer).
Les esprits chagrins ne manqueront pas de me faire remarquer que le conflit
cornichon-tomates-haricots-salades est une allégorie par trop évidente de la lutte
des classes et autres joyeusetés qui nous rendent la vie impossible, et que
par conséquent, je me rend coupable d'incitation à la haine.
Je m'excuse par avance auprès des habitants de Ploumazout-sur-Mer pour la mauvaise
publicité engendré par ce texte.
Enfin, malgré la présence d'un jambon-beurre et d'éléphants roses, je rassure la SPA,
aucun animal n'a été maltraité.
Heureusement, ce groupe n'est pas encore modéré.

PPS : Je remercie Raoul pour sa documentation complète sur le jambon-beurre, document sans
lequel ce texte n'aurait jamais pu voir le jour.

PPPS : si l' Association Pour les Feuilles de Salade décidait de m'attaquer en justice,
je nierais avoir eu des relations sexuelles avec Monica MachinChose.

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